Cette exposition est un hommage aux pères de la photographie de l’Afrique francophone et à la jeunesse des années 1960, les années twist. Ces photographes sont avant tout des portraitistes, mais entraînés dans un mouvement joyeux de libération, ils sont sortis de leur studio, ont parcouru la ville en reportage pour saisir l’ambiance de la vie nocturne.
Dès les années 1950, Jean Depara a sillonné les rues de Kinshasa, de bar en dancing, au son de la rumba, danse afro-cubaine. Dès 1961, Malick Sidibé a suivi la jeunesse dans les surboums de Bamako pour saisir le twist, une danse venue des Etats-Unis via Paris. Et ce n’est pas un hasard si en 2017, deux expositions posthumes à Paris et à Arles se nommaient « Mali twist » et « Swinging Bamako ». La vogue du twist à Bamako peut être considérée comme une surprise dans une ville qui fête son Indépendance depuis un an et qui, par mimétisme avec l’Occident, s’adonne à une musique dont la structure musicale rompt avec les musiques africaines et avec le jazz.
On retrouve ce mimétisme dans les attitudes et dans les costumes : les hommes adoptent rapidement l’habit européen, suivi un peu plus tard par les femmes. Le décor fait appel à des objets importés, du Solex à la Coccinelle. Dans son studio, Seydou Keita dispose des accessoires européens : des scooters, des montres, des stylos.
Dans un contexte d’indépendance politique qui ne peut être aboutie qu’avec les volets économique et culturel, on peut être surpris par cette mode pro-occidentale alors que les étudiants de Berkeley et du Quartier Latin portent leur regard vers Che Guevara, Mao ou Martin Luther King. Il faut dire qu’il y a un double contexte : celui de l’indépendance africaine qui libère la jeunesse du joug colonial occidental, et en même temps, dans ce monde occidental, un phénomène de libération de la jeunesse qui s’affirme comme une catégorie socio-culturelle à part entière, qui, nourrie de la pensée de Marcuse et de la pilule, exulte en Mai 68.
Un mouvement d’une si grande ampleur qui se joue des frontières comme… le twist !
Ces photographes s’affirment comme des artistes par vocation, par la faveur du public et par nécessité. L’argentique, par économie, leur impose une seule prise de vue et souvent à la lumière du jour. Il faut donc travailler le cadrage, la lumière, la pose où que l’on soit, mais avec un décor arrangé. Par formation, par instinct ou par nécessité, le portait s’impose toujours. On soigne le visage tourné un peu de côté, la position des mains et surtout le regard qui doit dévoiler « l’image » comme dit Bacon à propos du portait « trop vrai » du pape par Vélasquez. Seydou Keita, qui se revendique artiste, dit la même chose : le photographe est « un mangeur d’homme car il lui ravi son « dyaa » ou son « double vital ».
A travers ces visages et ces attitudes, peut-on saisir avec ces portraitistes, en ce temps, l’âme de cette jeunesse africaine doublement libérée en faisant la part de l’apparence et de la réalité ?